Projet Agricole

En février 2008, je quitte la France pour m’installer au Sénégal, dans le village de Mbarigo. Les Bâ, ma famille sénégalaise, habitent le hameau de Keur Moctar à 20 km de la ville de Saint Louis (capitale de région). Un de mes projets est d’aménager et d’exploiter un périmètre agricole avec la famille Bâ.
Depuis huit mois nous y travaillons et beaucoup de personnes me demandent souvent des explications sur ce projet. Alors les voici !

Tout d’abord, trois petites histoires.
1) Il était une fois une ethnie de l’Afrique sahélienne qui arpentait les vastes étendus de la brousse pour nourrir et abreuver son bétail. Les peuls ont ainsi voyagé du Sénégal jusqu’au Tchad. Au cours du temps, le climat a changé, les nuages ont donnés moins d’eau, le vent a poussé le sable toujours plus au sud, les zones de pâtures se sont raréfiées. Les troupeaux été moins nombreux et beaucoup de peuls se sont sédentarisés pour développer des activités agricoles ou pour aller travailler en ville.

2) Il était une fois un homme en quête de repos. Ses pères avaient beaucoup voyagé avec le troupeau de nagués (zébus) familial à travers la brousse du Sahel. Lui-même marchait déjà depuis longtemps avec sa femme et ses 10 fils. Un jour, alors qu’il suivait le chemin menant vers la ville de Ndar (Saint Louis), il décida de s’arrêter. Il construisit une case pour sa femme et ses 10 fils et fonda ainsi le hameau de Keur Moctar (chez Moctar). En 1997, Moctar Bâ rejoignit ses pères, laissant derrière lui une grande famille et un troupeau qui vivent aujourd’hui dans le village de Mbarigo au hameau de Keur Moctar.

3) Il était une fois une entreprise française, les GDS (Grands Domaines du Sénégal) qui s’installa dans le village voisin de Mbarigo pour cultiver de la tomate. La brousse est un espace neutre qui ne se vend pas… Facilement, GDS fait pousser, dans du sable, de belles tomates … que seul les français peuvent manger … (je ne développerais pas ici mon point de vue sur cette forme de néocolonianisme, mais je suis prêt à en discuter avec qui veux !) Bref, une grande majorité des villageois de la région travaillent aujourd’hui aux GDS. Certes ils ont une paye sûre qui tombe chaque 31, mais quand GDS aura épuisé la terre ou trouvé une zone d’exploitation plus rentable, il n’y aura pas de plans sociaux pour retrouver du travail !


Et maintenant, mon histoire !

Pour commencer, revenons quelques années en arrière, quand j’étais encore étudiant à Rouen et que mon ami Fred me parle de son prochain voyage en Tanzanie, avec son association interculturelle HOE … et de me dire : « quoi qu’il en soit, il faut que t’ailles un jour en Afrique. C’est à faire dans ta vie ! » Alors que je commençais mes études d’ingénieurs à Nancy, le fameux Fred me contact pour me proposer de participer au nouveau projet d’HOE
en Inde. Ma réponse fut vite donnée … C’est ainsi qu’en 2004, commence pour moi la plus belle aventure de ma vie : celle des voyages, des découvertes, des rencontres et de ces formidables moments de partages qui restent à jamais en vous.
Du coup, forcement, on s’intéresse de plus près à toutes ces choses qui touchent au développement des pays, aux relations politiques et économiques entre les états, au passé et aux espoirs, à ce qu’on nous montre depuis la France et ce qu’on voit dans les régions que l’on traverse …
Puis, c’est la grande aventure COSI~COSA. Deux ans et demi, dont 10 mois de voyage à travers l’Afrique de l’ouest avec une équipe de choc ! Inévitablement ce voyage à changé ma vie et certainement contribué à ma décision de ne pas être ingénieur (pour le moment).
> Tout ça pour dire, que j’ai vu beaucoup de formes de projets visant au développement, que j’ai souvent discuté, jusque pas d’heure, avec mes amis en retournant les questions et en cherchant des solutions meilleures et que j’ai finalement voulu tester une démarche que je n’ai pas encore rencontrée.

Mais quelle est cette démarche ?
Tout d’abord, l’idée est de se placer à un endroit et de passer le temps nécessaire pour comprendre la façon dont vive les gens et les problèmes qu’ils ont. Ensuite, l’idée est d’essayer de savoir la façon dont ils pensent régler leurs problèmes. Enfin, l’idée est de les aider à mettre en place les solutions aux problèmes.

Vous allez me dire, que toutes les ONG sérieuses ont cette démarche. Je répondrais, en bon normand, par oui et non. Oui, les projets de développement aujourd’hui sont dits intégrés, avec des volets sociaux où l’on discute avec les populations, où l’on travail sur le long terme … c’est vrai. Mais non, parce que généralement, il existe des facteurs (qui sont pour moi des contraintes) tels que : un projet écrie avec des étapes à respecter et à valider ; un budget défini ; des financements versés en plusieurs fois sur plusieurs années ; des intérêts politiques ou/et financiers souvent bien cachés …

> En gros, ma démarche est d’essayer, le plus possible, de me mettre à la place d’un membre de ma famille sénégalaise et à partir de là, d’agir pour aller vers du mieux. Bien évidement, je n’ai pas le passé, ni l’histoire des Bâ, je n’ai pas 10 gosses à nourrir, j’ai une trousse à pharmacie plus complète que celle du dispensaire, je suis arrivé avec mes économies et j’ai ma famille en France qui ne me laissera pas en galère (j’espère !). Mais tout de même, j’essaie le plus possible de vivre au quotidien comme les gens de mon village : dans ma case de 9 m2, sans électricité, ni eau courante, sans véhicule, sans sécu, en achetant du crédit téléphonique 500F par 500F …

En décembre 2007, quand j’ai demandé la permission de m’installer à Mbarigo, j’ai aussi demandé ce que je pourrais y faire. Avec Khalilou Bâ (un des 10 fils de la famille, ingénieur à Dakar et président de l’association pour le développement du village) on est parti sur le projet de cultiver un périmètre appartenant à sa famille. Tout le monde a donné son accord.

> Pour moi, l’objectif principal de ce projet est de faire en sorte que les pères de famille du hameau travaillant au GDS quittent cette entreprise pour travailler leur propre terre.



Ngues (le champ de) Keur Moctar

La petite piste de sable qui descend du hameau en direction du goudron va droit vers le champ. A moins de 500 mètres de ma case, de l’autre coté de la nationale, un hectare de surface cultivable. Deux puits dont l’un n’est pas fonctionnel et l’autre est utilisé par les femmes pour la lessive, la vaisselle et la toilette et par les bergers pour le bétail.

Ma formation en agriculture se résumant au noyau d’avocat que j’avais mis dans un verre d’eau à l’âge de 15 ans, j’ai posé des questions et j’ai beaucoup observé car comme disait le pote d’un pote qu’à fait l’INA : «les paysans d’une zone regardée font à priori ce qu’il y a de mieux a faire avec les ressources à leur disposition (force de travail, capital, terres en qualité et quantité). Ils savent mieux que n’importe quel agronome quoi planter sur quelle parcelle et à quelle époque.»

Rappelons le, les peuls sont avant tout des éleveurs. Les animaux sont laissés en divagation et par conséquent, si l’on veut cultiver, il faut impérativement clôturer le périmètre. Les agriculteurs utilisent pour cela des branchages épineux et des bâches. Mais les chèvres ont cette capacité à entrer là où on n’a pas envie qu’elles entrent ! Je déteste les chèvres : elles ont bouffé mon bananier !!

Donc la première étape a été d’installer une clôture efficace et durable afin d’empêcher les animaux de pénétrer à l’intérieur du champ. Un bon grillage métallique galvanisé de 1,50 mètre de hauteur, maintenu par des poteaux métalliques coulés dans du béton sur 50 cm dans le sol. Et celui que je vois toucher au grillage (plus de la moitié de l’investissement financier total) j’le claque !

Deuxième étape : nettoyer le champ. Couper à la machette les arbustes et les mauvaises branches, ratisser les branchages et autre ordures. Il faut faire vite, car un tracteur doit venir labourer. On a fait vite, j’ai du téléphoner tout les jours pendant 15 jours et on attend encore le tracteur !

Troisième étape : les puits. Celui utilisé par les femmes se trouvant désormais à l’intérieur du champ (et les femmes enceintes ne pouvant rentrer dans le champ), il a fallu remettre en service le deuxième puits. J’ai pris un bon ptit bain dans une eau noire et odorante pour vider le puits, sur creuser le fond en enlevant du sable et nettoyer les parois à la javel. J’ai ensuite installé une armature en bois avec une poulie et une corde et aujourd’hui les femmes utilisent ce puits dont on peut même boire l’eau.
Sur le puits du champ, j’ai fais monter une pompe manuelle très simple, (même si je me suis pris la tête avec le soudeur !) appelé pompe à corde. Elle est idéale pour les puits de faible profondeur comme le notre (5 mètres) et diminue considérablement les efforts physiques pour pomper l’eau. Après de nombreux petits réglages, le système marche bien et en gros, on rempli un fût de 200 litres en 3 minutes. Des tuyaux permettent d’acheminer l’eau vers des bassins réduisant ainsi la fatigue des arroseurs.
Voir la vidéo !


Tout est prêt pour commencer à cultiver. Ça tombe bien, l’hivernage (ou saison des pluies : de juillet à septembre) arrive et la pluie tombe en averse sur les graines de haricots, pastèques, arachides, et bisaps (plante dont les feuilles servent pour la sauce des plats et les fleurs pour faire des jus).
Ensuite il faut attendre que ça pousse, puis labourer autour des plants pour couper les mauvaises herbes, puis traiter pour tuer les chenilles et les criquets, puis labourer encore, puis traiter encore pour tuer les vers qui commencent à manger les pastèques, puis surveiller le champ pour empêcher les gosses de venir voler des pastèques, puis attendre avec un fusil les singes malins qui viennent déjeuner le matin dans le champ !
Bref un programme chargé entrecoupé de mal de ventre à trop manger de pastèques, une saturation de haricot le soir au dîner, et des brouettes de pastèques à remonter à la maison !
On ne gagne pas d’argent avec les cultures hivernales. Je le savais. D’une part parce que tout le monde cultive la même chose en même temps (ce sont les seules plantes qui poussent sans qu’on est besoin d’arroser) et d’autre part car j’ai beaucoup donné pour la famille et les amis et je n’ai pas chercher à vendre toute la production en une seul fois. Mais tout de même, je suis rentré dans mes frais en remboursant les intrants.  


La campagne de soblet (oignons)
On pourrait dire que le projet commence là. Nous sommes fin septembre 2008, le ramadan se termine et les choses sérieuses vont démarrer. Revenons un peu sur ma place dans cette histoire, sur mon rôle, sur mes relations avec la famille Bâ, sur ma vision des choses après 7 mois au village.

Depuis le début, alors que je me donnais à fond dans l’aménagement du champ, j’étais un peu déçut du manque de motivation des hommes de la famille. Tout le monde donnait un coup de main de temps en temps mais il y avait plus de discutions et de promesses que d’action. J’ai vite compris que les gens se plaçaient en observateurs. Ils attendaient de voir si j’allais vraiment investir pour aménager le champ comme je le disais. Et c’est vrai qu’à partir du moment où le grillage et les poteaux sont arrivés, la motivation s’est fait ressentir chez certains. Mais je sentais bien que dans l’esprit général du hameau, c’était le champ de Matthieu et c’était Matthieu qui dirigeait les opérations.
Un grand merci à Loïc qui m’éclaira sur cette situation en m’expliquant que je devais passer le leadership à un membre de la famille pour que le projet puisse se pérenniser et durer. J’ai alors tout mis en œuvre pour travailler en collaboration étroite avec Adama, pour le motiver à prendre les décisions clés et pour montrer à tous que c’était lui le patron. Il était un peu réticent au départ car il a déjà un travail et qu’ici, beaucoup de gens hésitent avant de s’engager dans une affaire dont ils ne sont pas sur de tirer des bénéfices.

La situation économique des familles et le manque de capitaux ne permettent pas de prendre des risques sur des projets à gros investissements. Petit à petit nous avons progressé et aujourd’hui la première étape « sociale » du projet est réussie. Adama et moi sommes les deux responsables du champ. Adama gère l’ensemble du calendrier cultural, dirige les travaux de terrain et pour moi, il est un professeur précieux et efficace. De mon coté, je veille à ce que le projet ne soit pas ralentie ou affaibli par un manque de moyen financier, tout en continuant à travailler physiquement dans le champ sur l’ensemble des travaux.
La deuxième (et dernière) étape « sociale » du projet se fera lors de la prochaine campagne, où progressivement je me retirerais. Dans un premier temps au niveau financier, puisque si la campagne actuelle marche bien, une partie des bénéfices sera mis de coté pour supporter les frais d’entretient et de démarrage d’une nouvelle campagne. Dans un deuxième temps physiquement, à partir du moment où mon objectif de voir les pères de famille quitter GDS pour travailler à plein temps dans leur champ, sera atteint.
On aura l’occasion de reparler de tout cela plus tard …


D’un point de vu agricole, une campagne d’oignon se déroule sur 4 à 5 mois. Voici brièvement les différentes étapes :

- Acheter les semences avant que ce soit trop cher. Opération bien menée ! Compter un pot de 500g pour ¼ d’hectare. Nous avons acheté 3 pots.

- Préparer les planches qui serviront de pépinière. La pépinière permet de réduire la surface à arroser pendant la levée du semis

- Semer, arroser chaque jour, traiter, biner, mettre de l’engrais, désherber, surveiller …

- En parallèle, réparer le grillage car les chèvres sont entrées, tuer un singe, perfectionner le système d’adduction d’eau et pleins de petits travaux d’entretient …

- Jour magique ! : voir un tracteur labourer le champ. En une matinée, le travail de 10 hommes en une semaine est fait. Vive le progrès (à ce niveau en tout cas).

- Préparer les planches qui accueilleront les jeunes pousses lors du repiquage (environ 40 jours après le semis). On en est là, au 15 novembre.

- Par la suite : continuer l’arrosage régulier et l’entretient des plants, puis la récolte et le séchage des bulbes avant la vente à un grossiste (vers avril 2009).


Voilà mes amis. Enfin j’ai mis des mots sur l’aventure du Ngues de Matthieu Bâ à Keur Moctar. Une aventure qui ne fait que commencer et surtout qui est maintenant l’aventure du hameau, l’aventure de la famille Bâ dont je fais parti.
J’en profite pour remercier tout ceux qui m’ont soutenu et aidé dans la mise en place et la réalisation de ce projet : Maman Béa, Papounet, Sylvie, Marie Kiki, Mes grands parents et toute la famille en France, Loïc, Pollack, Nico, Emilie, tout mes amis de France, Khalilou, Yéro, Souleyman, Adama, tout les habitants de Mbarigo et tout mes frères des familles Bâ et Sow de Keur Moctar, et toi …

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :